La pièce



Ecrite par Karol Wojtyla en 1960,

La Boutique de l’Orfèvre est un drame humain profondément enraciné dans le concret de la vie quotidienne.
Thérèse et André, Anna et Stéphane, Monique et Christophe sont des couples d’aujourd’hui aux prises avec les difficultés;
Adam, à la fois homme de la Terre et de l’Ailleurs, est celui qui veille et qui provoque l’éclatement de la vérité des êtres.
Une vérité qui ne peut être sans la Vérité. Celle qu’apporte le Christ, Bien-aimé et Epoux, dont le visage est en chacun des hommes que le destin nous fait rencontrer.
Mais il est difficile d’entendre les appels, de lire les signes que nous adresse l’Eternel…
Dans La Boutique de l’Orfèvre la vie a séparé Thérèse et André, puisque lui est mort à la guerre ; elle a désuni Anna et Stéphane devenus indifférents l’un à l’autre.
Monique et Christophe, leurs enfants, réussiront-ils là où leurs parents ont, d’une certaine manière, connu l’échec ?
Rien n’est moins évident, tant la distance qu’ils prennent avec l’Orfèvre – Dieu est grande.
L’auteur nous laisse en même temps un doute et une espérance.

Karol Wojtyla avait 40 ans quand La Boutique de l’Orfèvre a été publiée dans la revue Znak. Il était alors évêque auxiliaire de Cracovie depuis deux ans.
C’est donc là l’œuvre d’un homme en pleine maturité qui a su exprimer toute sa connaissance profonde de l’expérience humaine avec un étonnant talent d’écrivain.

Jean Offredo


Avant-propos de l’édition française
 Cana – Le Cerf, 1979

Le désir humain absolu

La pièce, écrite par Karol Wojtyla en 1960, est composée de trois tableaux relatant trois situations de couples.
Il s’agit d’une grande réflexion sur l’amour par les protagonistes eux-mêmes, confrontés à leurs doutes, à leurs espérances et à leurs échecs.

Réflexion et non pas d’abord drame au sens classique du terme ; Wojtyla a été formé à l’école du « théâtre rapsodique ».
D’habitude, toute pièce qui se respecte pose un problème et tâche de le résoudre, mais elle le fait à travers l’histoire qu’elle raconte, donc indirectement. Dans le théâtre rapsodique, le problème est posé tel quel, dans toute son abstraction ; il ne se dissimule pas sous la trame d’une histoire, et si jamais histoire il y a, elle apparaît plutôt en marge du spectacle, comme illustration du problème principal.
Cela donne un spectacle… qui justement n’en est pas vraiment un ! Ce n’est pas principalement l’imagination ou l’affectivité qui sont mues et extériorisées mais la conscience et le cœur auxquels on accède en s’intériorisant.
Ainsi les gestes, la musique et la chorégraphie, tout est ordonné au mot servant l’idée. Bref, il ne s’agit pas de représenter la vie dans sa quotidienneté mais pas non plus, ce que l’on pourrait craindre, de produire une œuvre à thèse au sens de la propagande instrumentalisant l’art.

L’analogie qui nous vient à l’esprit est davantage celle de la liturgie ; que l’auteur soit un prêtre est ici second, puisque ce sont des laïcs qui sont à l’origine de ce type de théâtre.
Mais ces laïcs étaient des résistants ; ils résistaient contre le désordre haineux et violent imposé par les nazis. Ils avaient compris que la force de la Pologne n’était pas dans son armée mais dans l’énergie spirituelle qui animait la culture et l’histoire de la nation.
Le travail théâtral apparut très tôt comme un des lieux importants où cette énergie pouvait irriguer et se renouveler. Ce n’est pas en regardant un spectacle que l’on résiste, c’est en accueillant ce qui est signifié par la parole que l’écoutant est actué intérieurement et participe par là à la réalité exprimée. Lorsqu’il y avait des représentations clandestines, chacun savait que le prix à payer de cette liberté, en cas de découverte, était la déportation. Le texte proclamé dans de telles circonstances avait une efficacité immédiate, puisqu’il manifestait par son existence même la suprématie de l’esprit sur toute violence physique, mais aussi sur toutes haine et peur.

Voilà ce qui permet de comprendre l’aspect encore et toujours prophétique de cette pièce sur l’amour humain un an après la mort de son auteur.
Le monde contemporain attend beaucoup de l’amour ; celui-ci apparaît en effet comme très valorisé et comme le moyen privilégié de trouver le bonheur. Mais ce même monde, bien souvent, expérimente l’échec de la relation amoureuse durable.
Les échecs successifs créent des blessures qui finissent par engendrer une peur fondamentale et la croyance en l’impossibilité d’un tel itinéraire de bonheur. C’est à ce monde que Wojtyla révèle que l’amour n’est pas un idéal mais un apprentissage, jamais terminé, de l’autre et de soi-même pour répondre ensemble à un appel qui nous dépasse toujours. Seule la prise en compte de la vulnérabilité permet à la fidélité de se frayer un passage dans les tensions de la vie.
La source de cette fidélité n’est ni physique, ni affective ; elle est de l’ordre de l’esprit, de cette énergie capable de résister à l’inertie du désordre. L’esprit est fort non pas par lui-même mais en tant qu’il est capable d’accueillir plus grand que lui.
C’est en s’enracinant dans la fidélité à cet appel que la liberté peut assumer les tempêtes de l’affectivité et du corps.

Wojtyla résiste et nous fait participer à cette résistance en nous adressant à chacun un appel qui sollicite, et par là révèle, ce qu’il y a de plus grand en nous.
Il dévoile par le fait même la haute finalité de la culture.
Celle-ci a souvent été pensée comme vecteur de subversion de l’ordre établi. La culture est alors vue dans un rapport de domination et d’aliénation qu’il faut retourner.
De là sa stérilité ; elle ne fait rien émerger si ce n’est justement la manifestation que tout est rapport de forces et ultimement non-sens.
De nombreuse œuvres contemporaines ne sollicitent pas une reprise de soi-même à partir de ce qu’il y a de plus élevé, mais provoquent un éclatement et un désoeuvrement nihilistes.
Au contraire, La Boutique de l’orfèvre témoigne paisiblement qu’au désir humain absolu, il faut répondre par ce qui lui en est digne !
Thibaud Collin
Agrégé de philosophie 
Professeur au collège Stanislas